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28/09/2019

TUXEDOMOON - Interview 1982 (Ambient, jazz, new wave, experimental)

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Interview 1982 / NOTES Zine #6


                      
                                       
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C'est à Bruxelles que je suis al­lé rencontrer les musiciens de TUXEDO­MOON.
J'ai pu assister à un concert donné par eux à l'occasion de la soirée des Disques du Crépuscule. Contrairement à ce qu'on avait pu voir d'eux lors de leur dernière tournée française (1981), ainsi qu'à Paris en décembre de la même année, le concert de Bruxelles fut net­tement plus acoustique: Steven Brown avait troqué ses synthétiseurs contre un piano à queue, et Blaine Reininger débranchait parfois le jack de son violon pour en garder un son purement acou­stique.
J'ai pu passer d'agréables moments en compagnie de Blaine, Steven, et de Leur ami Richard Jobson, ex-Skid. J'en ai profité pour vous ramener cette in­terview de Steven Brown, multi-instrumentiste et co-compositeur du groupe.

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En tant que membre de Tuxedomoon, peux-tu m'expliquer pourquoi vous vous êtes installés en Europe, vous, un groupe de San Francisco.

S.B.: Well...Pourquoi nous sommes ve­nus en Europe ?...

Oui, et pourquoi vous y restez.

S.B.: En effet, il y a un an que nous sommes ici. Well... Il y a un tas de raisons tu sais, je te dirais tout d'abord que nous sommes des citoyens du monde. Nous ne sommes pas des Amé­ricains, nous ne sommes pas des Européens, nous sommes simplement des êtres humains sur la planète Terre... Mais je suppose en fait - nous som­mes restés à San Francisco pendant trois ans - que nous y avons fait tout ce que nous pouvions y faire. Là, nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions. Nous y avons évolué, nous avions besoin de quelque chose de neuf, nous avions besoin de davantage de support.

Et vous l'avez, ici!

S.B.: Oui. Le choix était d'aller à New York ou bien d'aller en Europe. Nous étions impressionnés à l'idée de venir en Europe, Peter, Blaine et moi, Nous redoutions ce monde antique avec ses châteaux, un monde arriéré... Mais nous nous sommes rendus compte que c'est en fait réellement moderne ici. Nous avons senti une sorte d'esprit socialiste, très positif... Et de la sorte, nous nous sommes installés six mois à Rotterdam, en Hollande. Puis maintenant ici, à Bruxelles.

Penses-tu que cet esprit socialiste existe en Amérique ?

S B.: Non... C'est difficile à expliquer. Je préfère ne pas employer ce terme. Il y a une sorte d'ambiance ici qu'il n'y a pas en Amérique... Je ne sais pas ce que c'est : mais nous pouvons nous installer ici. Nous pouvons survivre de notre art, et cela nous ne pouvons pas le faire en Amérique. Les gens ici ont une autre démarche envers nous, envers Tuxedomoon, Ils nous prennent plus au sérieux. Il y a davan­tage de support...il y a davantage de tout ici. Si nous étions restés à San Francisco, le groupe serait probablement déjà séparé.

Et vous comptez rester ici long­temps ?

S.B.: Pas exclusivement à Bruxelles, mais en Europe, oui, dorénavant nous sommes ici chez nous.

Oui... Vous voulez vivre en Europe.

S.B: Oui, J'espère, maintenant. De plus, il y a eu l'élection de Reagan: nous avons été directement touchés.

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Oui... Et puis ici nous avons Mitt­errand, n'est-ce pas. On peut espérer que ce sera meilleur pour la culture.

S.B: J'espère...nous allons bien voir...

Que penses-tu de la scène européen­ne, de la musique, de la sculpture, pein­ture, etc...?

S.B.: J'aime la vieille Europe, ses tra­ditions... J'aime les chansons en français, Jacques Brel par exemple. J'aime ces cho­ses-là. Toutes les vieilles chansons italiennes, toutes les vieilles chan­sons françaises, la musique ancienne.. Je ne sais pas trop quoi penser de la musique actuelle. Pour moi il ne s'agit que de vieux rock n'roll ressuscité. Tout le monde essaie de copier les grou­pes anglais. Il y a un côté moribond dans tout cela la plupart du temps. D'ailleurs je n'y porte guère d'atten­tion. Mais j'aime écouter la radio, où l'on passe différentes musiques ethniques, tu vois...

La musique africaine, par exem­ple ?

S B.: Non, pas tant que cela, la musique africaine...

Parce que...C'est un peu une mo­de, maintenant, d'écouter la musique africaine.

S.B.:  C'est vrai, c'est vrai.

Celle du Ghana, par exemple, sur laquelle a travaillé Brian Eno. tu la connais ?


S.B.: Pas des masses. Je connais mieux David Byrne. Mais je n'aime pas ce qu' il fait.

Quelle sorte de musique écoutes-tu dans tes moments de quiétude?

S.B.: Hum...J'aime écouter de la poésie. Mais ces derniers temps: je n'écoute rien du tout. En tait: je suis carrément accoutumé à la radio. J'écoute sans cesse la radio. Il faut que J'allume la radio en me levant le matin, il faut que je l'allume pour me coucher le soir...(NDLR: C'est vrai I)

La radio de Bruxelles?

S.B.: Oui. Mais j'ai aussi un récepteur FM. J'écoute la FM.

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La radio nationale ne passe-t-elle pas plutôt de la morde?

S.B: Non il y a de bonnes radios, ici. Il y a deux excellentes radios pirates. Weil. Ils diffusent de la mu­sique contemporaine. C'est rigolo, tout est comme le disco, maintenant. Toute la new-wave, c'est comme le disco. Je me rappelle Iorsque le disco était la chose nouvelle, n'est-ce pas, dans le début des années 70, tout le monde haïssait Ie rock n'roll et aimait le disco. Pour ma part, d' ailleurs, je trouvais cela fantastique! J'aimais réellement la musique disco.. Ensuite, la plupart des gens haïrent le disco. Maintenant, les rôles sont complètement inversés, la plupart des gens font essentiellement ce que fai­sait le disco: boum paf boum paf... New Order par exemple - II ne s'agit en fait que du même beat. Toutes ces chansons de merde dans le monde ont adopté le même beat.

Sauf Tuxedomoon...

S.B: Sauf Tuxedomoon. Well, j'espère que nous sommes différents. Je suppose que c'est d'ailleurs pour cela que nous en bavons, au lieu de nous mettre au disco et de ramasser plein de fric. C'est une des raisons pour lesquelles nous n'utilisons presque jamais de bat­terie. Il n'y a pas de percussions dans "Une nuit au fond de la frayère". Dans le disque "Joeboy" il n'y a pas de batterie non plus. Nous en avons par contre joué dans" "Desire": là, il y a peu de morceaux sans percussions. Je crois que c'est une chose qu'on at­tendait: de la musique sans ces per­cussions de merde.

Il y a un morceau de vous, que j'aime beaucoup, qui s'appelle "Crash", Il y a bien de la batterie, là-dedans.

S.B: Oui. Nous avons essayé d'utiliser la batterie sur ce morceau. Mais je tiens à dire que j'aime le beat, j'ai­me le disco. J'aime le rock new-wave. J'y suis accoutumé. J'en ai besoin pour me lever le matin, tu sais. J'ai besoin d'entendre ce beat. Mais je crois que nous avons une obli­gation à explorer de nouvelles contrées. Personne ne le fait... Donc nous le faisons. Il y a tant de choses à faire avec la musique! Et il y a juste un morceau sur cinquante millions, tous identiques, qui soit original. Tout le monde fait la même chose, pourquoi? Pour la circonstance, Blaine et moi nous avons commencé à faire des concerts avec simplement du piano et du violon, rien que des instruments acoustique. Et c'est incroyable comme les gens ai­ment. Les gens veulent quelque chose d'autre que le disco, tu vois. Tandis qu'ici, il y a juste du piano et du violon... C'est peut-être vieux-jeu, mais paradoxalement c'est nouveau, parce qu'il y a des siècles que les gens n'ont pas entendu cela. Un de mes projets est de réaliser un album avec du piano, avec du violon. En fait, je crois que c'est ce que nous ferons dans l'avenir, probablement, moi au piano et Blaine au violon...

Si je comprends, vous étés tou­jours en train d'essayer de nouvelles formes de musique, de nouveaux sons.

S.B: Oui. Je crois que c'est un devoir. En tant qu'artistes, nous le devons. Si tu ne fais pas quelque cho­se de nouveau, tu ne fais rien. Lorsque tu es prêt à faire un con­cert, tu cherches à transmettre ce qui n'a jamais été transmis avant.
La scène est un endroit très spécial, quasi mystique. Tu dois y prendre le public et l'emmener là où il n'a ja­mais été, tu comprends... Et c'est ce que nous essayons de faire. Sans l'y contraindre. En fait, nous essayons de trouver un juste milieu entre ce qui est nouveau et ce qu'on peut rattacher à quelque chose. Quelque part au milieu, quoi... Un peu comme si Stockhausen rencontrait Wagner. Un mélange alchimique d'étrange et de normal. The Golden Mean!

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Une toute autre question! il y' a une grande différence entre un mor­ceau comme "Crash" par exemple, et un morceau comme "Egypt". Comment expliques-tu cela?

S.B.: Oh c'est simple "'Crash" a été é­crit par Blaine, "‘Egypt" été écrit par moi (rires)

Je crois que vous ne faites pas seulement de la musique...

S.B.: Non. Peter est sculpteur. Bruce fait des films, Winston peint, moi également. Blaine est le seul musi­cien pur. Tuxedomoon est davantage une "sphère" d'artistes qu'un groupe musical.

Qu'exprimez-vous par vos acti­vités artistiques autres que musi­cales: la même chose que votre musi­que?
S.B.: (Il me montre ses dessins) Voilà.

Quand je t'entends chanter, je trouve qu'il est d'abord difficile pour toi d'exprimer quelque chose. Et ensuite tout le corps participe à l'expression vocale... Tu vois ce que Je veux dire?

S.B.: Tu veux dire: sur scène? Ou bien sur disque?

Sur les deux."Victims of the dance" par exemple...

S.B.: C'est Winston qui chante sur "Victims". En plus, nous ne le jouons plus en concert.

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Pourquoi, c'est trop difficile?

S.B: Well, Nous sommes trop paresseux. Non! Je crois qu'il y a réellement
de l'émotion et de la passion dans ce que nous chantons, si c'est cela que tu voulais me faire dire. Nous avons aussi des morceaux sans texte (en français dans le texte), Quand nous écrivons des chansons, nous le faisons de tout notre coeur.

Est-ce que les Résidents frap­pent Blaine quand il fait une fausse note dans un solo de violon? Sont-ils durs avec vous?

S.B.: Oui.

Travaillez-vous souvent avec les Residents?

S.B.: Non. Quand nous vivions à San Francisco, nous allions souvent les voir. Les Residents et Ralph Records sont les mêmes personnes. Quand. nous allions chez eux, nous travaillions avec eux. J'ai travaillé avec les Residents. Nous avons enregistré “Scream with a view" dans leur studio il y a deux ou trois ans. Mais nous n'avons pas réellement enregistré avec eux. Nous avons fait un film avec leur cinéaste, dans leur studio. Mais, comme Je disais, nous en avons fini avec Ralph Records; je crois
que dans l'avenir nous ne travaille­rons plus avec Ralph. Du moins, pour le moment, nous restons indépendants, nous n'avons plus envie de redevenir leurs esclaves. Pendant des années nous avons vécu dans l'esclavage de cette compagnie de disques. Et nous ne pouvions rien faire, nous devions leur réaliser un album à tel moment, etc...

Réellement?

S.B: Nous ne pouvions rien faire sans leur accord. C'était de le tyrannie. Maintenant nous sommes libres, tota­lement libres. Tuxedomoon est "libéré, indépendant, vive la Bastille". Nous allons bientôt réaliser un sim­ple avec le morceau "Again" et sur l'autre face un morceau du ballet avec Béjart, "Divine", qui s'appelle "Ninotchka".

Comment avez-vous rencontré Béjart-?


S.B.: Eh bien... dans un bistrot. Il avait déjà utilisé des morceaux de "Half-mute" dans un de ses pré­cédents ballets. Lorsqu'il apprit que nous étions à Bruxelles, il est venu nous voir et nous a donné carte blanche pour composer la musique ori­ginale de son nouveau ballet. Sept morceaux que nous arrangerions à notre guise. Le Ballet a déjà été joué à Bruxelles. Nous continuons d'entretenir de bons rapports avec Maurice. C'est un trés bon ami à moi.




Entretien réalisé chez Steven Brown, quelque part à Bruxelles, le 2.2.1982.