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30/11/2019

FUGAZI - Interview 1996 (Post hardcore, noise rock)

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Interview 1996
Peace warriors zine #3

FUGAZI - Photo 1996


Fugazi pratique depuis neuf années, un hardcore intelligent et émotionnel, Brendan Canty, Joe LaIly, lan MacKaye et Guy Picciotto se sont imposés comme La référence de l'intégrité musicale, dénonçant les méfaits de l'alcool et de la drogue, la censure et les compromissions avec le show-business, Renonçant au destin de stars ils refusent d'accorder interviews à une presse qu'ils disent compromise et industrialisee et préfèrent se référer aux fanzines.
La musique de Fugazi est une colère refoulée. Le jeu sec et dépouillé de chacun est sans cesse contrôlé.  Le tout retenu sous pression est prêt à éclater, mais n'éclate pas toujours, c'est là toute la force du groupe.
Sachant être si tendre et si cruel à la fois, Fugazi est à la musique ce que Cassave­tes était au cinéma. La rencontre avec Guy Picciotto fut plus que chaleureuse. Ce personnage intro­verti, sensible et généreux, nous a livré, aprés ce magnifique concert parisien, ses queiques sentiment.


Depuis votre derniére tournée en Europe en 1992, la sortie de l'album "ln on the Kill taker", nous n'avions guère de nouvelle du groupe. Malgré le proverbe "no news is good news", pourquoi ce silence ?

De ne pas avoir de nos nouvelles, annonçait plutôt de mauvaises nouvelles pour nous! Nous avons monté le groupe en 1987, et nous tournions alors environ sept mois par an et cela durant sept ans. Nous avons travaillé tres dur, et nous sommes finalement arrivés dans une impasse. Brendan nous a quittés pendant un an. Il est vrai que nous avions besoin de faire un break pour nous retrouver. Lorsque l'on travaille dur on a plus assez de recul. Nous avons donc pris un an pour penser à toutes ces choses, et préparer un nouvel album. L'année derniere, nous avons joué ensemble pendant trois semaines, c'était -étonnant de voir comment chacun jouait. Bendan décida ators de .revenir à Washington D.C., où nous avons alors fait de nouvelles chansons assez folles. Ce break nous a permis de réfléchir sur l'avenir du groupe et redéfinir clairement ce que l'on voulait faire et pas faire. Le groupe avait besoin de faire cette pause, et c'est peut-être ce qui nous a permis de faire une musique plus peresonnelle. C'est un nouveau départ pour nous aujourd'hui. C'est certainement la plus dure année que l'on ait passé, pas seulement pour les problèmes du groupe, mais pour les remises en cause de chacun d'entre nous.


Comment s'est passé l'enregistrement de votre nouvel album "Red Medicine" ?

Nous ne sommes jamais heureux et détendus dans ces moments là, c'est assez stressant. Pour "Red Medicine', nous avons essayé de donner le meilleur de nous-mêmes dans la mesure où nous étions dans un moment d'incertitude. Finalement, nous nous sommes vraiment amusés. Nous avions tous les éléments en main pour nous exprimer, créer et rendre l'enregistrement vraiment intéressant. "Red Medicine" a été fait tres rapidement, deux semaines d'enregistrement ont été suffisantes.
Habituellement, après avoir enregistré un album, je ne veux plus que l'on m'en parle, alors que pour celui-là, rien que de le voir, je rigole. J'aime ce qu'il véhicule. Nous avons vraiment travaillé dans ce sens dans son aspect global.


FUGAZI - Photo 1996


Nous avons l'impression que votre dernier album est un peu une synthèse de ce que vous avez fait auparavant, tout en respec-tant l'évolution du groupe ?

C'est tout à fait vrai. je pense que dans cet album, on trouve des idées qui n'avaient pas encore été développées. Il retrace un peu une partie des expériences de chacun des membres du groupe, ce qui le rend plus intéressant. Nous lui avons donné l'âme que nous voulions lui donner.


Le son de votre nouvel album est plutôt différent du précédent, que voulez vous mettre en évidence, notamment avec cette introduction un peu bruitiste ?

Nous avons enregistré il y a environ trois ans dans un studio, une chanson sur un appareil détraqué sorte de petit magnétophone, ce qui donna un son distordu. Au départ, on ne savait pas si l'on allait s'en servir un jour. On a donc conservé la cassette, puis par hasard, en faisant du rangement, nous avons retrouvé cette cassette, et finalement, nous avons pensé que c'était une bonne idée de la réutiliser pour commencer un album. L'album débute sur l'idée d'explosion, de pouvoir et de force, rendus par le son de ce premier morceau.


Aujourd'hui est-ce aussi simple de garder son intégrité au sein de Fugazi ?

"L'intégrité" n'est pas le terme approprié. Cela revient â dire que vous êtes pur et que je suis pur. Pour un groupe, l'idée importante qu'il ne faut pas oublier, est le contrôle. Nous voulons contrôler tout ce que nous faisons, et refusons que des gens nous disent ce que l'on a à faire. Finalement, si nous faisons des erreurs, ce seront nos erreurs. Si nous agissons sur les gens, c'est notre action. Avec la musique que nous faisons, nous devons également contrôler les répercussions que cela peut avoir sur certaines personnes, ce qui nous pousse â être méfiants vis-à-vis des médias et de toutes sortes de publicité. Nous devons nous sentir en adéquation avec notre musique, ce qui revient â dire que nous devons contrôler tout ce que nous faisons. Les gens découvrent souvent les groupes au travers d'articles qui disent si cela vaut la peine d'être écoutés ou pas. Moi, je veux qu'ils nous découvrent par eux même, c'est â dire, d'une manière neutre. Nous sommes juste des exemples pour nous même. Si jamais il y avait des problèmes avec ce que véhicule notre musique, je serais serein parceque je sais que nous avons contrôlé au maximum de nos possibilités et que nous avons en conséquence les moyens de rétablir l'équilibre, si nécessaire.

FUGAZI - Photo 1996


Qu'est-ce que veut dire réellement "indépendant" aujourd'hui aux U.S.A. ?

Les mots et leurs sens changent beaucoup. La plupart des étiquettes que l'on met aux groupes ne correspondent plus à rien. Les mots ont perdu tout leur sens. Tu me parles d'indépendant mais les gens l'utilisent à tort et à travers. Je ne sais pas ce que le mot "indé" signifie aujourd'hui aux U.S.A., ni ce qu'il signifie pour moi. Je ne pourrais pas le définir, de la même façon que je ne pouvais pas définir le "Do it yourself' dans les années 80.
Si tu veux créer un mouvement, tu as à appréhender chaque chose qui le forme et l'entoure. Lorsque tu travailles sur quelque chose qui te tient à coeur, tu apprends d'abord les processus pour toi même et tu le fais avec amour. Si tu laisses faire les autres à ta place, tu perds tout contrôle. J'aime beaucoup la musique des Beatles, bien que je ne sache pas si elle peut être qualifiée d'indépendante. La musique n'est pas une équation de maths. Comme pour tous les groupes, si tu n'as pas un confort, tu ne peux pas être au coeur de ta musique. C'est un point de vue personnel.


Qu'en est-il aujourd'hui avec le label Dischord?
Ce qui est intéressant avec Dischord et qui le rend unique, c'est qu'il reflète la société environnante. S'il ne se passe rien â Washington D.C., il ne se passe rien pour Dischord. Dischord est le reflet de la position et de la situation des bandes dans la ville. De nos jours, de nombreux mouvements donnent naissance à d'intéressants groupes. C'est comme si Washington D.C. sortait d'une dépression. et faisait jaillir une multitude de personnes voulant s'exprimer en faisant des choses bien variées. Il faut se balader â W.D.C. pour s'en rendre vraiment compte.


Vous dites souvent que les tournées vous apportent beaucoup sur le plan humain, d'après vos nombreux voyages, pouvez-vous le dire encore aujourd'hui ?

Lorsque l'on part en voyage, on n'a jamais le temps de visiter quoi que ce soit. Ca a été un problème dans les trois dernières années où nous sommes allés dans différents pays en Asie â Singapour, au japon, en Australie, au Canada, aux U.S.A., et dans les pays d'Europe... Les voyages vous ouvrent l'esprit, on laisse tomber les idées toutes faites et préconçues que l'on a d'une population. C'est sur place que l'on se rend compte â quel point ces idées sont idiotes. D'ailleurs au contact de ces gens, en discutant avec eux, on se fait de nouveaux amis. C'est pourquoi je pense que tous les gens devraient sortir des frontières pour découvrir l'ensemble du monde. C'est pour moi une très bonne chose de voyager, et d'être ici en tournée par exemple, mais toutes les obligations qui accompagnent une tournée, sont des inconvénients.
La découverte d'un environnement étranger, les balades dans les rues, nous libèrent de tout stress et énervement. Lorsque tu montes sur scène jouer, tu te sens bien car tu établis un contact, une relation avec le public. A chaque fois que l'on joue, c'est un jeu de scène unique car les liens que l'on tisse avec le public sont différents selon les pays. Mais les tournées sont généralement très fatigantes. nous n'avons eu depuis le début de la tournée que cinq jours de repos, nous avons joué à Angers, Bordeaux, puis en Espagne, au Portugal, puis nous sommes repartis en Espagne, en France, â Zurich, puis de nouveau en France, avant de partir pour l'Italie, la Sicile et la Slovénie... Quand tout ceci sera fini, je pense dormir au minimum trois jours, car s'est vraiment épuisant.


FUGAZI - Photo 1996


Vous avez récemment joué avec "God is my copilot" lors d'une date de votre tournée, les avais-tu déjà rencontrés auparavant, apprécies-tu leur attitude et leur démarche ?

Nous ne les avions jamais rencontrés auparavant. Ce jour là, nous étions épuisés car nous avions joué très tard. J'ai été vraiment impressionné par leur spontanéité. Ils étaient très présents dans leur représentation. Nous avons passé la nuit ensemble à discuter.


Le groupe te suffit-il pour t'exprimer ?

Le groupe représente beaucoup pour moi. C'est ma part musicale. Je n'ai jamais pensé qu'il ne puisse plus exister. Mais en même temps, je fais des films (il montre quelques rushes de ses films). Je passe beaucoup de temps â tenter de les faire, ce sont mes deux passions. J'adore produire des groupes dans le petit studio que l'on a, l'échange est géné-reux, les groupes qui viennent enregistrer sont libres et prennent du plaisir, après quoi, ils récupèrent leurs bandes. Faire des films d'une façon indépendante, est quelque chose vrai-ment différent, plus dure, c'est aussi pourquoi j'adore John Cassavetes, car il travaille avec ses amis, il sait ce qu'il fait et quoi qu'il fasse, sa vision ne change pas. Cela ne semble pas difficile a priori dans la vie, mais dans les films, c'est bien plus dur car réaliser un film même avec peu de moyens, revient malgré tout cher. J'essaye d'être le plus honnête dans ce que je fais. Le cinéma est en effet un réel moyen pour moi de m'exprimer.


Quel est ta position face à la presse musicale ?

J'adore les fanzines car lorsque je lis un fanzine je peux tout de suite savoir qui le fait, ce sont souvent des gens très enthousiastes et passionnés. La presse musicale professionnelle et commercialisée, n'est pas très bonne. Ces journaux ne m'intéressent pas, ils ne parlent que de gens reconnus et laissent les jeunes talents de côté, de façon cynique. La plupart des gens n'ont pas énormément d'informations sur les groupes. Ils ne savent rien de nous, nos idées, nos attentes et espérances. Nous nous laissons peu interviewer par cette presse. Le plus important, c'est la musique, or, elle se perçoit directement par le public. Elle n'a pas besoin d'être traduite ou réduite en mots. Les fanzines restent les seuls avec qui j'ai envie de parler de nous, les autres m'ennuient.


As-tu des origines françaises ?

Ma famille est composée d'italiens venus s'implanter en France, c'est peut-être ce qui explique ma sympathie pour ce pays. C'est vraiment quelque chose de puissant que d'être à Paris ce soir. Les concerts à Paris sont toujours d'agréables souvenirs. La dernière fois que nous sommes venus, ça m'a vraiment marqué, c'était un grand moment. II y a quelques années lors de nos premières tournées européennes, notamment à "l'Espace Ornano", c'était très difficile de jouer, et le lendemain au "club Gibus", c'était encore plus fou, tout le monde se battait. Ces moments là, m'ont vraiment déchiré le coeur. De nombreux groupes américains détestent jouer en France, alors que pour moi le public français est le plus réceptif en Europe à notre musique. Malgré ce qui s'est passé lors de nos premiers concerts en France, nous sentons aujourd'hui que le public participe à la musique, il la vit, et pour nous sur scène, c'est comme une vague d'énergie.

FUGAZI - Photo 1996