PROPULSÉ
PAR LE SUCCÈS DE DIRTY ET LES "INCANTATIONS" D'UN KURT
COBAIN LE CITANT À FOISON COMME UNE INFLUENCE MAJEURE, SONIC YOUTH
RELANCE L'OFFENSIVE AVEC EXPERIMENTAL JET SET, TRASH & No STAR.
À LUI SEUL, LE TITRE MÉRITERAIT QUELQUES EXPLICATIONS. POURTANT,
LE TOUJOURS SURPRENANT LEE RANALDO SEMBLE DISPOSÉ À PARLER DE TOUT
SAUF DUDIT ALBUM! QU'À CELA NE TIENNE, LA CONVERSATION N'EN SERA
QUE PLUS DIVERSIFIÉE!
Lee Ranaldo,
guitariste rythmique et lunatique en chef de Sonic Youth, est un
personnage déconcertant. Se promenant avec un walkman-enregistreur
à vitesse de défilement variable dont il se sert en toute occasion,
il n'envisage pas une interview comme un processus figé où le journaliste
pose des questions auxquelles il se doit de répondre, préférant
enregistrer sa propre voix puis la rediffuser en accéléré dans le
walkman dudit journaliste qui se demande bien ce qu'il fait là,
face à cet individu incapable de rester inactif une seconde, parti
à commenter, de manière impromptue, le sommaire du numéro deux de
Hard N' Heavy - "Oh! Tad ! Si tu savais comme il est gros!
Tiens, voilà Kurt (Cobain) ! C'est un guitariste de heavy-metal
maintenant?", avant de se lever pour montrer le poster Slayer
à son collègue Thurston Moore qui n'a pas l'air très concentré non
plus. Devant le peu d'enthousiasme que ce respectable énergumène
montre à disserter sur "Experimental Jet Set, Trash & No
Star", le nouvel, et semble-t-il , dixième album du groupe,
on préférera l'attaquer sur un sujet qui semble faire partie intégrante
du mode d'expression Sonicyouthien : le bruit.MUR ANTI-BRUIT
Lee Ranaldo : Qu'est-ce que le bruit? Pour nous, le monde est un ensemble de sons, consonants ou dissonants. Il n'y pas de différence entre le bruit et la mélodie. Quelqu'un comme John Cage, probablement l'artiste le plus heavymetal du vingtième siècle, pouvait utiliser le chant des oiseaux sous sa fenêtre le matin ou un marteau-piqueur dans la rue pour composer une pièce musicale. Lui était un vrai rocker. A l'instar de compositeurs comme Edgar Varèse ou Karl Heinz Stockhausen, nous partageons cette conception de la musique. Le noise (bruit) est un terme péjoratif qu'utilisent certains afin de désigner des gens comme nous et pour qui la véritable musique se limite à Madonna ou Whitney Houston.
Ce genre de conception doit parfois être difficile à faire passer auprès du "grand public" !
Parfois, en effet. Le problème est que nous sommes intéressés par toutes les formes de musiques et particulièrement celles qui transcendent leur époque. Je pense que c'est là un des problèmes du heavy-metal actuellement. S'il avait quelque chose de passionnant à sa création, la plupart des groupes qui le pratiquent maintenant semblent se cantonner à une formule. Dans notre esprit, la musique doit être beaucoup plus large que ça, insolite, dérangeante (freaky), avec des choses saugrenues, excentriques.
Pensez-vous que Sonic Youth innove encore avec ce nouvel album?
On est assez chanceux pour avoir suffisamment de succès et continuer à faire ce que l'on a envie, alors ça n'est pas le genre de question que je me pose. C'est plutôt à quelqu'un comme toi d'en décider. Ce qui compte pour moi, c'est d'arriver à rendre audibles et concrets les sons que j'entends dans ma tête. Je laisse aux autres le soin de décider si ça a une valeur quelconque. De toute façon, on va tous mourir un jour ou l'autre!
N'auriez-vous pas plutôt tendance à garder cet esprit avant-gardiste pour vos projets solo 7 (NDLR : Lee s'apprête à sortir un CD entièrement enregistré... sur les chantiers de construction des buildings à New York !)
Pas vraiment. Ça serait plutôt le contraire car ce genre de projet est réservé à une audience très limitée. Sonic Youth est signé sur une major, on nous fait voyager au dessus de l'océan pour venir parler à des gens comme toi, on vend 500 000 exemplaires d'un disque à des gens souvent assez jeunes, avec une musique plutôt bizarre et que nous concevons comme l'antithèse de la pop music. Je trouve ça beaucoup plus subversif que ce que nous faisons à côté.
PERTE DE PERSONNALITE?
Si "Dirty", le précédent LP, pouvait quasiment être considéré comme une tentative "commerciale" de s'ouvrir à un autre public, il représentait aussi l'aboutissement d'une démarche de domestication démarrée en 1986 avec l'album Sister (sur le label SST) avec, à la clé , le risque d'une possible édulcoration de la véritable personnalité du groupe.
En comparaison à Dirty, ce nouvel album fut-il compliqué à enregistrer?
Au contraire. On a écrit la moitié des morceaux en rentrant en studio. Notre état d'esprit était que l'on avait suffisamment passé de temps auparavant à préparer les titres, les retravailler sans relâche. Pour une fois, Butch Vig (NDLR: Producteur entre autres de Nirvana et Smashing Pumpkins) s'est cantonné à un rôle d'ingénieur du son, alors que "Dirty" était le résultat d'une forte implication de sa part. Ça lui a d'ailleurs fait bizarre de devoir se retenir ainsi! Des fois , il essayait de changer des choses dans notre dos!
Les quelques interventions empressées de l'attaché de presse sont on ne peut plus claires : le temps imparti est désormais écoulé. Lee Ranaldo bondit immédiatement hors de sa chaise et retourne raconter des âneries à Thurston Moore, comme si tout cela n'était rien qu'un minuscule fragment auditif sur la turbulente bande-son qui défile dans sa tête.